Tous les jeudis à 19 h sur la radio Mouv’ (Radio France), Anna Toumazoff prend le mic et le passe à ses invité·es pour aborder ses obsessions du moment avec son regard féministe dans l’émission Tunnel. Tunnel, c’est l’expression du moment. Si je te mets un tunnel, c’est que je pars dans une cogitation verbale qui a un début et peut être pas de fin, avec au milieu sûrement des digressions dans le but de développer – au mieux – ma pensée. On ne peut pas mieux expliquer ce dans quoi on se lance en écoutant un épisode de Tunnel. On entre dans un espace où chacun·e s’exprime, prend le temps de digresser, de construire sa pensée tout en se marrant comme des baleines. Bref, une safe place comme on en a besoin !
Qui est Anna Toumazoff ?
Avant d’entrer dans le tunnel, revenons sur le parcours d’Anna Toumazoff, pour celles et ceux qui ne la connaissent pas. Vous verrez ainsi tout l’intérêt qu’elle puisse s’exprimer dans une émission de deux heures à la radio sur les sujets de sociétés et les actualités.
Parfois, on lit d’elle que c’est une influenceuse parce qu’elle a percé sur Instagram avec son compte de militante féministe. Mais Anna Toumazoff est une journaliste qui a fait Science Po Toulouse (big up!).
Son expérience de jeune diplômée et ses aspirations à devenir journaliste militante l’ont conduit sur les bancs d’Instagram pour défendre la cause féministe (non sans humour). Son compte @memespourcoolkidsfeministes a servi à notamment dénoncer #Ubercestover #SciencesPorcs et #Doublepeine. Il compte pas moins de 216 k followers.
Elle est connue pour son ouvrage Ta vie sans filtre, aux éditions Mango qui se veut être un dictionnaire adressé aux jeunes adultes autour des questions qu’ils ou elles se posent. Elle y prône l’acceptation de soi et la bienveillance, et tous les ingrédients qu’on retrouve dans son émission Tunnel qui rempile pour une deuxième saison.
Tunnel ça parle de quoi ?
Tunnel, c’est le nom qu’elle a donné à son émission sur la radio Mouv’. Le format, c’est deux heures hebdomadaires avec des invité·es qu’elle choisit. Deux heures c’est long ! On n’est plus trop habitué·es, tellement on swipe et scrolletoutes les 15 secondes sur nos téléphones.
Oui mais ! Le format long est un cadre important et nécessaire pour construire ce que la journaliste souhaite faire, à savoir engager des conversations et libérer des paroles dans la douceur. Il n’est pas question d’affrontement de punchlines ou de débat, mais bien d’échanges constructifs, joyeux et bienveillants autour de sujets comme la mode, le corps, la famille, l’amour, l’alcool, les échecs, la colère, la nostalgie, écrire (tiens tiens, ça peut intéresser la communauté de Cornée et Miralta).
Blablabla vulgaire
Un des derniers épisodes animés par Anna revient sur la (culture de la) vulgarité ou l’opposition entre culture et vulgarité. Avec Blanche Sabbah, Eesah Yasuke, Louis Albi et Sandra Nkaké, ses invité·es du jour, elle s’interroge sur la définition de ce qui est vulgaire, par rapport à qui, par rapport à quoi, et surtout selon qui.
Petit tour d’horizon des personnalités autour de la table qui valent le détour pour te convaincre d’écouter. Blanche Sabbah est autrice de BD et militante féministe, elle sévit sur les réseaux à travers le compte @lanuitremueparis. Plume acérée et voix singulière, Eesah Yasuke n’est autre que l’étoile montante du rap francophone. Louis Albi a brillé sous les spotlights de la Star Académie en 2022 et se dévoile à travers son album Pleurer de joie. Sandra Nkaké, lauréate des Victoires du Jazz en 2024, se retrouve en chanson et à l’écran, car elle a la double casquette de chanteuse et actrice.
La vulgarité passée au scanner de Tunnel
Ça juge fort, mais ça copie !
Le mec avec l’accent du sud super prononcé habillé en joggo était assigné à être un beauf selon d’autres autoproclamés intelligents, élégants, sobre, avec un phrasé parfait. Ce mec « beauf », fait remarquer Anna Toumazoff, est aujourd’hui mimé par ces mêmes êtres supérieurs qui s’amusent à la pétanque en buvant un bon pastaga.
« Ça, c’est le grand luxe des dominants dans le monde », précise Blanche Sabbah. Ils peuvent tout se permettre, y compris s’approprier les codes des dominé·es, en rire, en tirer profit, les rendre cool alors même qu’ils les jugeaient beaufs, vulgaires, pauvres, bêtes, cheap, de mauvais genre, trop ci ou trop ça, pas assez comme ci ou pas assez comme ça. Quand tu dictes les règles du jeu, tu peux jouer comme tu veux.
On est un peu paumé·es du coup. Qu’est-ce qui est vulgaire, si c’est devenu cool de jouer au beauf ? Le beauf a cette chance qu’il soit quasi systématiquement un adjectif qualificatif masculin. La vulgarité est – visiblement – propre au féminin. Vulgaire, ce mot-valise politiquement correct, intègre tout un tas de jugements, de propos, d’insultes misogynes ou sexistes (beaucoup associés aux travailleur·euses du sexe en passant). Et pourquoi les insultes sont-elles souvent des injures sexistes ou misogynes ? Comme le disent très bien les invité·es : il faudrait expliquer « pourquoi le patriarcat ? » si on voulait vraiment répondre à cette question. Je te le donne en mille ! C’est parce qu’elles sont proférées par… des hommes (ou des femmes dont la misogynie intégrée les fait agir ou s’exprimer à travers des biais négatifs qu’elles subissent également).
Le vulgaire est mort, vive la vulgarité !
Les médisances n’en sont que parce qu’elles sont crachées par celles et ceux qui se pensent au-dessus. Alors pour les contrer, le mieux reste d’assumer sa place dans la société, son accent, ses origines, son identité en somme, et de jouer avec les propos visés. Kem’s contre Kem’s, c’est celui qui dit qui est, miroir miroir. Et voilà la stratégie la plus répandue depuis des siècles et des siècles de jugements, d’insultes et de médisances à travers le monde : l’appropriation.
Le terme queer à l’origine est une insulte attribuée aux personnes considérées comme bizarres, déviantes, vulgaires, voire inadaptées ; souvent adressé aux femmes androgynes, hommes efféminés, gays, lesbiennes, bi, trans. Comme pied de nez à leur détracteur, ces personnes se sont auto-qualifiées de queer en faisant de cette désignation une fierté. Ce retournement du stigmate place dans le même temps les queers dans une position politique collective qui interroge la place des dominant·es et des dominé·es et remet en question les injonctions liées au genre.
Pour conclure, je reprends une phrase prononcée par Sandra Nkaké dans l’émission : « Ils copient nos codes mais pour rien au monde ils prendraient nos places. » C’est ce qui était écrit sur le tote bag d’une personne qu’elle a croisée un jour dans sa vie. Tout est dit.
Isabelle est la chroniqueuse spécialisée dans la pop culture féministe pour Cornée mag. Conceptrice-rédactrice et serial storyteller la journée, elle troque son costume de brand experte le soir pour faire la lecture à son chat. Quand les essais socio-politico-philosophiques lui font défaut, elle se blottit devant une série documentaire true-crime histoire de se détendre les coussinets.
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Et toi, tu connaissais l'émission Tunnel ?
Oui, j'écoute tous les jeudis soirs !
Non, mais je vais aller écouter !
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