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La nuit des hommes de Félix Lemaître : La Belle au bois dormant IRL

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Cet article aborde des sujets qui peuvent heurter la sensibilité de certain·es. TW : violences sexistes et sexuelles.


La nuit des hommes, une enquête sur la soumission chimique de Félix Lemaître a été publiée chez JC Lattès dans la collection « Nouveaux jours ». Cette collection propose des enquêtes et des essais journalistiques comme En bons pères de famille de Rose Lamy, Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ? de Léane Alestra ou encore plus récemment Vivre pour les caméras de Constance Vilanova.

La nuit des hommes est une enquête menée par le journaliste, auteur et scénariste Félix Lemaître (ex-rédacteur en chef adjoint de Brain Magazine). L’essai nous plonge dans les bas-fonds de notre société pour y rencontrer les piqueurs au GHB, les manipulateurs au somnifère, les mythes fondateurs du masculinisme et leur goût acéré pour des corps de femmes-objets, fantasmés, inertes. Bref, tous ceux qui jouissent du procédé chimique (drogues, médicaments, alcool) pour soumettre leurs victimes et agresser en quasi toute impunité.


Les nuits de Félix

Pour nourrir chaque chapitre et construire ses recherches, Félix Lemaître s’appuie sur ses souvenirs et expériences personnelles.

Crédits photo : Chloé Vollmer-Lo

Pourquoi prendre comme départ de cette course poursuite son propre couloir ? Il pose le principe clé qu’il est un homme, qu’il côtoie les frontières de ce qui serait le cadre de départ pour son enquête (à savoir la nuit, la fête, les bars, les festivals, les clubs, etc.) et qu’il correspondrait au profil recherché : un homme. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) affirme en 2023 que les personnes mises en cause pour avoir commis une infraction sexuelle sont à 96 % des hommes. Dans un contexte où il serait tentant de se dédouaner en invoquant « not all men », Félix Lemaître expose sans détour son propre processus de déconstruction en tant qu’homme.

En plein #balancetonbar, l’écrivain se frotte aux quelques lieux qui circulent le plus sur les réseaux. Il voudrait constater par lui-même qui saupoudre les cocktails des femmes de substances chimiques ou assister à la technique dite de la « voiture-balai » consistant à ramasser les personnes les plus vulnérables pour les abuser. Il va même jusqu’à s’inscrire comme bénévole auprès d’une association ayant développé un processus d’aide en milieu festif pour les victimes.

Il donne de sa personne, mais ça fait flop. Les agresseurs « des belles endormies » passent souvent sous le radar parce que la majorité des victimes par soumission chimique connaissent leur agresseur (ami, conjoint, ex-conjoint, membre de la famille, collègue etc.). Par ailleurs, les chercheurs s’évertuent à trouver dans les prises de sang toxicologiques des traces de GHB alors que les techniques pour soumettre chimiquement quelqu’un sont à chercher du côté de toutes les drogues, du mélange avec l’alcool ou encore des médicaments.


Le fantasme de La Belle au bois dormant : mythe du prince prédateur

Dans La nuit des hommes, un chapitre intitulé « La pornstar au bois dormant » analyse le comportement masculin dominant et la fascination morbide pour les corps inconscients.

« Les femmes, il les préfère inconscientes », une phrase qui a de quoi glacer le sang et pourtant il s’agit d’un titre du magazine Le Nouveau Détective reflétant une réalité, un scénario sexuel. Pour enfoncer le clou, l’auteur mentionne le livre de John Gagnon Les scripts de la sexualité : Essais sur les origines culturelles du désir. Il s’agit de parler de sexualité en excluant la pseudopulsion ou ce qu’on projette sur le fameux instinct pour la comprendre à travers le prisme de scénarios culturels qui prescrivent des rôles, des gestes, jusqu’à des sensations. « Dès lors, la définition et la diffusion des scripts sexuels est un enjeu de pouvoir entre des groupes qui luttent pour que leurs scénarios dominent ou tout simplement existent. »


La Belle au bois dormant ou le problème du consentement

Pour rappel, le conte La Belle au bois dormant raconte ceci : à la naissance de leur fille, le roi et la reine organisent une fête en invitant des fées marraines pour offrir des dons à la princesse. Une fée malveillante jette une malédiction : à ses quinze ans, la princesse se piquera le doigt sur un fuseau et mourra. Cependant, une bonne fée adoucit le sortilège : au lieu de mourir, elle tombera dans un sommeil profond de cent ans, un prince viendra et, par un baiser, la réveillera, brisant ainsi la malédiction.

D’autres lectures de ce conte offrent des interprétations qu’on peut mettre en perspective des agressions commises par soumission chimique (ou des fantasmes pornocriminels abordés plus haut). Des analyses actuelles décryptent le conte de cette manière : une princesse réduite à un état de passivité totale, endormie et inconsciente, revient à la vie à l’arrivée d’un prince qui la « réveille » sans son consentement. Ce baiser forcé, même s’il est romantisé, peut symboliser une situation où l’action est exercée sans le consentement de celle qui est endormie.

En somme, cette atonie imposée et la nécessité d’un « sauveur » pour la libérer sont souvent considérées comme les échos d’une vision de la féminité ancrée dans la dépendance et la passivité, éléments critiques de ce qui nourrit la culture du viol.


Lien avec l’affaire de Gisèle Pelicot

Le livre mentionne également l’affaire de Gisèle Pelicot face à son mari Dominique Pelicot qui constitue un cas connu et actuel de viols par soumission chimique. Dans cette affaire médiatisée, comme l’évoque Félix Lemaître, la presse et les accusés peuvent employer le champ lexical du don pour parler de la victime. Comme si Dominique Pelicot offrait, livrait, ou donnait sa femme à des inconnus après l’avoir endormi.

Tu vois maintenant le parallèle évident avec la construction culturelle du désir, le script sexuel dont parlait John Gagnon et le conte de Perrault comme mythe fondateur de la culture du viol ?


Isabelle est conceptrice-rédactrice et serial storyteller. Pour Cornée mag, elle est la chroniqueuse spécialisée dans la pop culture féministe. Le soir, elle troque son costume de brand experte pour faire la lecture à son chat. Quand les essais socio-politico-philosophiques lui font défaut, elle se blottit devant une série documentaire true-crime histoire de se détendre les coussinets.

TikTok : @studiomarscontent | Instagram : @studiomarscontent

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Le regard sur le monde du livre des 15-25 ans

Cornée est une création de l'agence éditoriale Miralta Édito

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