Depuis le 15 octobre dernier se tient l’exposition L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux au musée des Arts Décoratifs de Paris. Dédiée à la mémoire de l’architecte italien Italo Rota, elle est l’occasion de regarder par le trou de la serrure et de plonger au cœur de nos propres jardins secrets.
L’intime, une notion qui arrive en France au XIXe siècle
Avant de débuter la visite, petit rappel historique de la notion d’intime, qui vient du latin intimus : ce qui est le plus à l’intérieur de nous, par extension ce qui relève de la vie privée. L’exposition débute avec une découverte de la notion d’intime à sa source : dans la chambre. Le public commence donc par des œuvres comme Une chambre à soi de l’autrice Virginia Woolf ou encore des photographies de l’artiste Nan Goldin.
Avoir une chambre à soi n’a pas toujours été la norme. Par le passé, la chambre était commune à l’entièreté de la famille. Le concept d’intimité était alors bien différent de celui que l’on connaît. La chambre à coucher conjugale apparaît seulement au XVIIIe siècle.
Un parcours intelligemment mené
La scénographie de l’exposition est très bien pensée – elle permet au public d’entrevoir tous les aspects de l’intime. Si on débute par la chambre, on passe ensuite par les lieux de commodité et de bain avec, entre autres, le tableau Femme assise sur le bord d’une baignoire et s’épongeant le cou d’Edgar Degas, puis par le maquillage et le parfum pour arriver sur une partie plus cachée intitulée Sexualité : du livre aux sextoys. Cette partie de l’exposition, qui met en résonance les premiers livres érotiques et les sextoys plus contemporains, se situe en dehors du parcours et permet aux enfants, ainsi qu’aux personnes qui ne le souhaitent pas, de ne pas y accéder.
À mi-parcours, on rencontre un espace dédié au design : Entre isolement et promiscuité. Cette partie de l’exposition nous présente l’évolution du design depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui. On remarque que les frontières entre public et privé se voient progressivement brouillées. Avec des pièces telles que le Canapé Bazaar créé par Superstudio, on bascule dans une intimité partagée – celle-ci marque la transition de la modernité à la postmodernité.
Puis la troisième grande partie de l’exposition vient ouvrir une perspective plus contemporaine. Elle fait état des débuts de la technologie numérique de l’information, du divertissement et de la surveillance, ce qui nous amène à la disparition progressive de la part d’intimité non dévoilée au grand public et nous invite à (re)penser le journal intime. On se souvient, ou du moins on en a tous·tes entendu parler, de la révolution scandaleuse faite par le Loft en 2001 : première télé-réalité française où le quotidien de personnes lambda a été retranscrit en direct à la télévision nationale. Un véritable choc et pourtant un réel bouleversement de la notion de vie privée et d’intimité.
Une réflexion critique sur nos habitudes de vie : l’intime dans un monde connecté
Reste-t-il encore une notion d’intime dans un monde où l’on est tous·tes surveillé·es en permanence ? – Les réseaux sociaux, les caméras, la surveillance vocale sur mobile et téléviseur… Tout est fait pour que notre jardin secret soit le plus minime et transparent possible.
À la suite de la télé-réalité se sont développés les réseaux sociaux : d’abord Facebook puis Instagram et maintenant TikTok. Ils sont devenus un incontournable de notre époque. Les fils d’actualités sont les nouveaux journaux intimes en ligne, une gazette actualisée 24 h/24 par et pour les personnes avec qui nous sommes connecté·es. En bref, les années 2000 marquent un tournant drastique mené par de lourds changements socioculturels. Sommes-nous finalement sincères ou construisons-nous une version parfaitement marketée de notre intimité dans le but de la partager ?
En effet, la frontière entre la protection et la surveillance se fait de plus en plus fine et l’exposition s’en fait témoin en présentant les tout premiers drones et l’évolution des appareils technologiques que sont les ordinateurs et les smartphones.
Une expérience de réflexion assurément personnelle
Mais qu’est-ce que l’intime ? Pour prolonger la réflexion débutée autour de la notion de l’intime, la dernière pièce de l’exposition invite son public à délivrer sa propre définition du terme. Aux murs, des pages de divers carnets intimes, et au centre, des tables sur lesquelles sont à mis à disposition de grands carnets accompagnés de stylos et une consigne : venir y inscrire notre définition du mot intime. Je me suis évidemment prêtée au jeu ! Mais pas de spoiler ici, il faudra vous rendre sur place afin de lire les centaines de mots, définitions et citations laissés par les visiteur·euses précédent·es.
Pour clôturer cet article et dans le but non dissimulé de vous inviter à découvrir cette exposition extrêmement bien menée, voici une petite piste de réflexion : que souhaitons-nous réellement partager et préserver dans notre société où tout devient désormais public ?
L’intime – de la chambre aux réseaux sociaux
du 15 octobre 2024 au 30 mars 2025
Musée des Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli
75001 Paris
Chloé est la chroniqueuse spécialisée dans les arts pour Cornée mag. Étudiante en édition imprimée et en arts plastiques, ses sujets de recherches créations se situent autour de la figure de la sorcière guérisseuse, de l’esthétique de la colère et de l'écoféminisme. Elle divise son temps entre la lecture, l’écriture, la création artistique et Barnabé, son chat.
Vas-tu te laisser tenter par cette exposition temporaire ?
C’est déjà fait !
Oui, je veux y inscrire ma définition de l’intime !
Non, ce n’est pas pour moi…
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