Chorégraphe et directeur du Théâtre Chaillot à Paris (Théâtre national de la Danse), Rachid Ouramdane a présenté, du 6 au 17 novembre 2024, Contre-nature, une pièce qui parle de l’enfance, des souvenirs, des marques du temps qui passe, de la présence qui perdure et de ces êtres chers qui ont disparu.
Jeudi 7 novembre, j’ai eu le plaisir de me rendre à la représentation animée par dix interprètes excellents. Et à l’heure où j’écris ces mots, mes yeux n’oublient pas, de même que mon corps, les émotions qui m’ont portée durant cette heure hors du temps.
L’expérience des corps en mouvement pour témoigner de la vie
Tout commence dans la brume. Sur scène, il y a cet enfant. On ne voit que lui, avant d’apercevoir cette autre silhouette qui s’en approche. L’enfant la demande, cherche le contact. Puis il est porté et emmené vers le reste de sa vie.
Tout est fluide, doux, fragile, fort. L’enfant, c’est moi, c’est toi, c’est chaque individu qui peuple cette planète. Tout au long de la représentation, il sera présent sous de multiples formes de vulnérabilité.
Dans cette sublime pièce, on retrouve le cœur de la recherche de Rachid Ouramdane, à savoir la multiplicité des identités. Son empreinte est partout : dans la prise des espaces comme la prise du monde, dans l’esthétisme de chacun des corps qui se meuvent sur la scène et dans la manière dont ils s’épousent les uns et les autres. Impossible de rester de marbre devant la poésie des gestes, quasi minimalistes. Impossible de ne pas laisser son esprit partir dans ces élans des corps, pris dans le tourbillon de l’histoire.
Nous ne regardons pas seulement la danse, nous regardons la vie : la naissance, la croissance, les envies, les obstacles, les rêves, les souvenirs, le passé, le présent et l’avenir. Tout ça, représenté sous des chorégraphies très spéciales, des mouvements expérimentés, des costumes sobres, des lumières qui se teintent dans la brume et des images projetées.
À la fin de la représentation, la musique est remplacée par la voix d'un enfant, celui que l'on voit au tout début. À travers les haut-parleurs, il dit qu'il aimerait nager comme les dauphins. Rachid Ouramdane semble tendre une métaphore pour expliquer que l’enfant nagera un jour dans le va-et-vient des vagues de la vie et qu'il apprendra à garder la tête hors de l'eau, rappelant ainsi toutes les chorégraphies présentes sur scène avec ces mouvements de vagues, d'emportements et de noyades.
Un projet de grande envergure
Ce projet, c’est celui de Rachid Ouramdane, mais pas que. Nous découvrons les profondes musiques de Jean-Baptiste Julien, les minutieux jeux de lumière de Stéphane Graillot, le travail scénographique de Sylvain Giraudeau, les vidéos de Jean-Camille Goimard et les costumes de Siegrid Petit-Imbert.
Sans oublier les dix interprètes de la Compagnie Chaillot que l’on retrouve sur scène et dont j’applaudis le talent. Tant de mains, de cerveaux, de corps et tant d’expertise sur un projet qui se dévoile sous nos yeux pendant une heure.
Comment représenter les failles et les fragilités ? Comment représenter la disparition, les douleurs, les avancées, l’acception, les désirs, les questionnements ? Dans ce projet, Rachid Ouramdane a souhaité montrer notre capacité à faire le « deuil des choses dans ce qu’elles nous apportent, dans une façon de s’accomplir à soi-même » (pour reprendre ses propres mots, prononcés dans le Journal de création, une série de trois vidéos qui suivent le travail du chorégraphe).
Le travail autour du souvenir
Les souvenirs prennent vie grâce à des vidéos projetées sur scène, se mêlant harmonieusement à une brume diffuse qui enveloppe l'espace tout au long du spectacle. Cette mise en scène évoque un mirage et crée une atmosphère fascinante. Rachid Ouramdane parvient ainsi à symboliser le souvenir avec finesse, utilisant la brume, les jeux de lumière et les couleurs pour matérialiser l'évanescence et la profondeur des réminiscences. Le spectateur a l'impression unique de ressentir et de contempler à la fois l'intangible et le concret de la mémoire humaine.
Le travail du mouvement et de l’aérien
Parmi les dix interprètes, certains viennent du monde de la danse, d’autres du cirque, d’autres encore de la voltige. Cette richesse est aussi un challenge, car ils ou elles n’ont pas la même façon d’appréhender le mouvement, et il a donc fallu trouver un langage commun.
Dans ce que viennent conter les corps, on retrouve l’idée de trouver des points d’appui dans son existence, des manières d’avancer, de se construire. J’ai été émerveillée par ces mouvements de foule, de groupe, mais aussi de solitude. Chaque interprète vient avec son identité, son parler, son histoire. On ressent énormément de douceur et de tendresse entre eux, mais aussi dans leur narration.
Chacun des corps va jusqu’à ses limites physiques, émotionnelles, mais aussi spatiales, comme un écho à ce « jusqu’où on peut aller en tant qu’être vivant », nous souffle Rachid Ouramdane. L’être humain est fait de ses multiples expériences. Il est aussi fait de toutes ses rencontres. Et c’est tout ça qui continue de raisonner en lui, quand les êtres chers disparaissent. Aussi, il reste le souvenir.
Anastasia est thérapeute et rédactrice indépendante. Elle équilibre son temps entre sa passion pour la psychologie, les maux du corps, et sa passion pour les mots.
Instagram : @anastasia.lobbe
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