La préface : est-elle indispensable ?
Dernière mise à jour : 8 juin

La préface. Vous savez, ces longs paragraphes que le lecteur d’aujourd’hui s’empresse de survoler des yeux et d’en tourner frénétiquement les quelques pages pour enfin se plonger dans l’histoire. Elle a souvent ce cliché d’être réservée aux textes classiques, réédités, d’auteurs intellectuels. Mais la préface, c’est cette personne qui souhaite nous ouvrir la porte avant que nous ne nous la traversions à toute vitesse. C’est l’hôte du livre que vous tenez entre les mains. Pour cette fois, je vous propose que nous découvrions qui elle est et que nous écoutions ce que cette délicate hôtesse et narratrice souhaite tant nous dire !
La préface est un des éléments du paratexte. Elle fait partie de ce qui entoure le récit, tout comme le titre, les notes, la quatrième de couverture, etc. La préface n’est pas un ingrédient obligatoire pour concocter une belle œuvre ; néanmoins, elle a une utilité et fait l’objet de choix, tout comme une page de couverture ou une dédicace.
Alors, à quoi sert-elle ? Et qui peut l’écrire ?
« Entrez, installez-vous ! »
C’est votre première publication ? Vous avez envie de vous présenter ? D’en dire plus ? Attrapez votre lecteur, saluez-le, c’est un bel espace pour cela ! En tant qu’auteur, vous n’êtes pas qu’une œuvre, vous êtes un individu fait d’expériences et d’émotions. Le texte que vous partagez contient ce qui vous touche, ce qui vous motive, une partie de vous. Peut-être que quelques lignes au préalable vous permettraient d’accompagner le lecteur, de lui remettre les clés de votre monde et ainsi, de sceller un pacte entre vous. Le lieu de la préface est un endroit d’intimité et de confidences. Dites vos doutes, expliquez vos choix, racontez des anecdotes liées à la création. Le lecteur ne rêve pas seulement de lire votre livre, il veut se mettre à votre place, découvrir comment vous avez fabriqué l’intrigue, quel personnage vous a donné le plus de fil à retordre. Votre travail d’écriture vaut tout autant que l’acte de publication, et pourtant, on ne voit pas tout le chemin que vous avez parcouru pour en arriver là. Ne le cachez plus, décrivez les fondations de votre charmante maison. Bienvenue dans les dessous de mon écriture…
Mais cet exercice est loin d’être simple, parfois plus compliqué que l’écriture d’un récit. Rassurez-vous, la préface n’est pas obligatoire, dites ce que vous avez besoin de dire sur vous. L’objectif est que le lecteur puisse comprendre l’œuvre à travers une certaine perspective, notamment la vôtre, pour comprendre un message. Parfois, une peur réside dans le fait de savoir que votre livre va être soumis au regard d’un autre individu. Elle est communiquée en amont, sur les réseaux sociaux souvent, mais la préface peut aussi la supporter. C’est un lieu où l’humilité a sa place, et quoi de mieux que de la partager à l’entrée du livre ? Tous les sentiments sont mis à plat, auteurs et lecteurs sont accordés, en harmonie, la lecture ne peut que bien se dérouler !
« Il va donc falloir sortir des coulisses, et m’assoir en face du lecteur qui me regardera fixement pendant deux ou trois heures : voilà une idée bien inquiétante, et qui m’a longtemps paralysé. »
Préface de Marcel Pagnol, La gloire de mon père.
« Lisez mais… »
La préface n’est pas qu’un lieu de partage, c’est aussi un endroit où vous pouvez faire le choix d’avertir votre lecteur. L’avertir de quoi ? Si votre texte contient des sujets auxquels certaines personnes peuvent être sensibles ou bien, si vous êtes dans une démarche originale, de nouveauté, vous pouvez choisir cet espace pour l’expliquer et renseigner. Ainsi, vous serez dans une démarche de prévoyance et d’attention auprès de celui ou celle qui va vous lire. Vous ne le piégez pas, vous le rassurez et le mettez en confiance. Cela peut aussi avoir pour effet de l’éloigner. Il est difficile d’acheter une maison sans l’avoir vu avant, eh bien pour un livre, c’est la même chose ! On le retourne, on prend le temps de lire la quatrième de couverture, et pourquoi pas la préface si l’on doute encore ! Cela n’est pas tant une mauvaise chose que de perdre un potentiel lecteur à ce stade-là. S’il l’avait lu sans avoir eu accès à une préface prévenante, peut-être vous l’aurait-il reproché, ou bien n’aurait-il pas compris le message. Nous connaissons bien la puissance de l’avis d’un lecteur et il se transmet rapidement ! Une préface explicative est sûrement préférable à une critique logée dans l’incompréhension. Mais cela a aussi un autre avantage : construire votre lectorat ! Dites le style de votre écriture, exprimez le choix de votre esthétique, etc. C’est une manière d’identifier votre texte aux yeux des lecteurs et pour vous d’identifier le public qui vous lira. Pourra alors s’établir une relation de compréhension et de fidélité entre auteur et lecteurs !
Par exemple, Aimelou, l’autrice de On tatouera notre jeunesse dans la neige, a proposé en guise de préface d’expliquer sa démarche bienveillante d’une écriture inclusive tout au long du roman. Pour s’adapter à un lectorat qui aujourd’hui n’est pas encore bien habitué, elle a créé un lexique pour éclairer et guider la lecture. Celui-ci reste court, car il est dans une démarche qui ne vise pas à effrayer le lecteur, mais au contraire, à le rassurer sur ce qui l’attend.
Autre visée, la préface est le lieu, si l’auteur le souhaite, de son autocritique. Son crayon est posé, le point final a été mis. Il regarde maintenant l’œuvre du dessus, dans sa globalité, une volonté de faire un bilan s’impose. C’est d’ailleurs souvent par là que commence une préface, par un regard surplombant tous les mots. C’est une synthèse qui peut être accompagnée par le sentiment de mise en doute sur ce qui a été fait.
« Poser sur l’œuvre un regard qui lui soit extérieur sans pour autant lui être étranger »
Philippe Forest.
« Puis-je vous convaincre une dernière fois ? »
La préface, bien qu’elle soit très proche du texte, est un élément du marketing. Elle fait quelques lignes, pages. Elle est dynamique et ne veut pas être un obstacle au récit. Ce sont les derniers mots qui sont là pour convaincre le lecteur d’acheter le livre et de rentrer dedans. Pierre Masson en parle comme d’une « opération de séduction ». Pour être utile, elle doit marquer tout autant que les autres éléments du livre. Comment faire alors ?
La préface n’est pas forcément écrite par l’auteur ! Engager un autre acteur dans le livre permet de lui donner encore plus d’importance, de le solidariser à un avis. Sous la forme d’une critique avant l’heure, l’éditeur, le libraire et le traducteur sont des individus qui peuvent donner leur opinion dans cet espace et donner plus de poids à l’écrit. Le lecteur peut se fier à un avis extérieur qui possède néanmoins une relation très proche avec le texte. On parlera alors d’une préface allographe, et non plus auctoriale.
« Mais, en somme, je n’accepte ici que la place d’un invité de passage. »
Préface d’Émile Zola, Étude sur le journalisme.
Plus rare mais plus ludique et immersif, vous pouvez écrire une préface dont le narrateur serait un personnage de l’histoire qui va suivre. Qui de mieux placer qu’un protagoniste pour convaincre d’entrer dans son monde ? C’est ce qu’on appelle une préface auctoriale.
Enfin, c’est aussi le moment où l’on peut citer ses références, évoquer ses inspirations, faire entrer toute la dimension de l’intertextualité. Cela peut alors prendre la forme d’un éloge ou de remerciements. Mais aujourd’hui, on a bien plus tendance à réserver ceci pour la postface. Faire le lien entre son œuvre et des grands noms de la littérature est un moyen d’inviter des lecteurs curieux, qui n’ont pas l’habitude de côtoyer certains genres littéraires, de diversifier votre lectorat.
Conclusion / Captatio benevolentiae
Il n’y a pas, du moins, il n’y a plus de règles pour composer une préface. Elle prend le ton que l’auteur veut lui donner en fonction de sa visée. La préface a commencé à disparaître avec l’arrivée du Nouveau Roman et lorsque le genre autobiographique est devenu de plus en plus populaire dans la littérature. Cela aurait sûrement fait trop répétitif de la garder. Elle a alors eu tendance à se trouver en postface, un espace qui crée un lien encore plus intime puisque auteur et lecteur peuvent alors dialoguer d’une même voix après la lecture.
L’enjeu le plus important que porte la préface est la relation que l’auteur souhaite entretenir avec le lecteur. À l’intérieur, il va régler le curseur de leur distance et proximité. Aujourd’hui, nous pourrions penser qu’avec les réseaux sociaux, où les auteurs sont plus accessibles et se confient quotidiennement, les préfaces ne sont pas très utiles. Pourtant, c’est un instant tout particulier le moment d’entrer dans une lecture. C’est un accueil sur un ton intimiste et personnel, une invitation. Mais qui sait, peut-être que les œuvres d’aujourd’hui seront toutes agrémentées d’une préface pour les lecteurs de demain, qui n’auront pas les références de notre temps ? Comme on le fait pour les œuvres d’hier.
Et vous, pensez-vous ajouter une préface à votre écrit ?
Nolane Vincent
Bibliographie
L’art de la préface, sous la direction de Philippe Forest, Éditions Cécile Defaut, coll « Horizons Comparatistes » Université de Nantes.
Préfaces & préambules, Denise Lach, Éditions Alternatives
L’art de la préface au siècle des Lumières, sous la direction de Joana Galleron, Presses universitaires de Rennes, coll « Interférences »
Image
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