La liberté de publier
Dernière mise à jour : 8 juin
Cet article est le deuxième de la série : Tout écrire, tout publier ?
Voici le premier et le post de présentation de la série !

Dans leur ouvrage Les 100 mots du littéraire, Paul Aron et Alain Viala définissent ainsi l’acte de publication : « […] faut-il entendre le terme de publication en son sens plein, celui d’une communication avec le public. La publication commence dès qu’il y a mise en relation d’une œuvre avec plusieurs personnes, et quel qu’en soit le support : lecture à haute voix, circulation en manuscrit, représentation théâtrale… ». La publication est ici abordée sous un angle plutôt spontané et sommaire. Or, le processus est en réalité complexe, notamment au niveau de la liberté. Ai-je le droit de tout publier ? Ou bien, existe-t-il des spécificités sous-jacentes ?
La liberté d’expression n’est pas sans limites et publier est une responsabilité de la part de plusieurs acteurs.
L’auteur
L’auteur est le premier maillon de la chaîne du livre et c’est, par sa volonté seule, qu’il fait le choix de rendre son livre accessible aux autres. La liberté d’expression reste sûrement l’une des valeurs qui ont été le plus questionnées et ceci, à travers les époques, les cultures, et aujourd’hui encore. Elle se définit par le fait même d’avoir le droit de tout dire MAIS, dans l’interdiction d’utiliser ce droit pour porter atteinte à autrui. C’est dans cette nuance que réside cette liberté. Qu’est-ce que cela veut dire pour un auteur ? Cela signifie qu’il peut traiter de sujets qui le touchent ou qui maintiennent son récit, mais qu’il doit constamment se poser quelques questions : ce dont je parle mérite-t-il plus d’attention ? Est-ce que mes mots ont été bien choisis ? Ai-je l’air d’inciter à certaines choses dans cet extrait ? Ma subjectivité a-t-elle pris trop de place par rapport au thème que je traite ? Serait-il possible que je touche et influence quelqu’un de la mauvaise façon à travers cette phrase ? Tout sujet peut être évoqué, et parfois le doit, mais s’il n’est pas explicitement dénoncé, ou bien, s’il fait figure d’incitation, il ne peut avoir légalement et moralement, sa place. Derrière l’acte de publier, il n’existe pas qu’une reconnaissance personnelle, mais bien plus, il y a des récepteurs, érudits ou novices, petits ou grands, ce sont des âmes de lecteurs qui risquent d’être heurtées. Les sujets les plus courants qui peuvent parfois, sans le vouloir, manquer d’attention, sont l’alcool, le crime, le sexe (selon le public visé), etc. Et pour ne pas les manquer, il est souvent bon de refaire une lecture en se focalisant spécialement sur ces thèmes. Pour les plus rares, mais aussi les plus délicats, on va retrouver la drogue, le suicide, le terrorisme, etc. Ces derniers méritent une attention particulière et la plupart du temps, une documentation poussée, que ce soit sur la manière d’exprimer le sujet (ne pas le discréditer, par exemple), ou bien celle d’agencer ses propos pour ne pas franchir la limite d’une possible inspiration à l’acte ou acceptation de l’idée. Derrière l’idée d’être auteur se cachent deux définitions : celui qui délivre des mots à autrui, et celui qui est responsable des propos qu’il a tenus. Mis à part le public, c’est aussi l’écrivain lui-même qui doit se protéger, anonymement ou non, il y a un nom qui est inscrit après ces mots, et c’est celui-ci qui sera tenu en premier lieu comme promoteur d’une pensée.
La maison d'édition
Différents acteurs entrent ensuite en compte lorsque l’auteur fait le choix de publier avec une maison d’édition. Si le manuscrit apparaît comme trop délicat au vu de la limite qu’il franchit avec des sujets sensibles, il est très souvent refusé. Dans d’autres cas, si l’éditeur lui trouve malgré tout un fort potentiel, alors il peut être proposé à l’auteur de retravailler sur la mise en forme des propos, afin que le livre soit légalement publiable. La maison d’édition permet ce deuxième regard sur le texte. Son rôle est d’accompagner l’auteur, de le protéger, mais aussi de se protéger. En effet, son nom est aussi inscrit dans le livre, à la fois sur la couverture et dans l’ours. Son objectif est aussi de communiquer autour de la sortie du livre, elle s’engage donc dans une démarche de mise en avant de l’objet, de son contenu et de l’auteur, tout en y associant son image. Elle se rend, elle aussi, responsable de ce qui est dit et de l’incitation à la haine, au meurtre, ou autre par exemple, s’il y a. À l’intérieur de la maison d’édition, il existe plusieurs lecteurs : le correcteur, le maquettiste, le directeur d’édition, etc. Plusieurs regards qui vont permettre de croiser des ressentis face au manuscrit, pour pouvoir décider de sa sensibilité à certains thèmes. L’objectif pour eux va souvent être de promouvoir le livre en appuyant sur le sujet de façon à le dénoncer. Mettre en avant son point sensible et combattre les a priori dès le début. Ainsi, le livre n’est pas incitatif et c’en est de même pour la communication qui se fait à sa sortie.
L’imprimeur, le diffuseur et la postérité
Pour les maillons suivants de la chaîne du livre, cela peut aussi s’avérer être un enjeu. L’imprimeur appose lui aussi son nom dans le livre. Il fait confiance à ses compères de l’édition, et ne prend donc pas forcément le temps de lire ce qu’il doit produire. En revanche, il apporte sa pierre à l’édifice par son travail et y fournit une certaine qualité. Son investissement le rend aussi responsable et engage son image. Les libraires sont chargés de diffuser le livre. Souvent, il a rencontré l’auteur ou bien la maison d’édition au préalable. Il donne sa confiance lorsqu’il accepte de vendre le livre. Le vendre nécessite aussi de le recommander auprès des lecteurs. Il y a tout un travail de mise en avant et de dialogue autour de l’objet. Si un scandale vient à éclater à cause du contenu, ou qu’un lecteur revient partager son ressenti, le libraire risque à la fois une perte de clientèle, de vente, de confiance en l’auteur, mais aussi du sentiment de sécurité et d’assurance qui avait pu naître avec la maison d’édition en question. Enfin, le dernier maillon représente les lecteurs. Ces propos incitatifs peuvent tomber dans des mains plus fragiles que d’autres. Les livres sont pour certains très immersifs et il n’est pas facile de remettre en question des propos lorsqu’on pense qu’ils ont été relus maintes et maintes fois et qu’ils ont été capables de faire tout ce chemin. S’il n’y avait pas de nuance à cette liberté d’expression, qu’en serait-il de notre monde et de notre façon de penser aujourd’hui ?
Un combat pour le Syndicat National de l’Édition
Et pourtant, il arrive que cette liberté soit trop restrictive et qu’elle amène à une autocensure trop régulière et automatique de la part de l’auteur et de l’éditeur, ce dernier estimant un peu plus les risques par son expérience et de son engagement trop important. Le SNE se bat pour garantir la liberté de publier et s’est rendu compte qu’un nouvel acteur tente de prendre une place dans l’engrenage de l’édition, tellement sa présence devient de plus en plus fréquente : le cadre juridique. Sont remis en cause des enjeux d’inventivité et de liberté artistique. Vous pouvez retrouver ses engagements juste ici : Livre blanc – Justice et édition : plaidoyer pour une justice adaptée. À l’échelle internationale, c’est l’UIE qui tente de défendre le livre. Ce comité est à l’origine du prix Voltaire dans l’objectif d’honorer la liberté de publier. Le lauréat 2021 juste ici : « L’éditeur libanais Dar Al Jadeed lauréat du Prix Voltaire 2021 », un article d’Antoine Oury sur Actualitté.
Anecdote historique
Dans l’Antiquité, pour qu’un livre soit publié, l’auteur devait le lire devant une assemblée dans l’auditorium, c’est ce qu’on appelait, la recitatio. Le texte de l’auteur était ainsi testé et corrigé. Néanmoins, étaient seulement lus des extraits de l’œuvre afin de stimuler un potentiel lectorat. Vous imaginez-vous faire de même aujourd’hui ?
Tacite trouvait cela « cher de louer un local, d’y faire arranger un auditorium, de louer des sièges et de distribuer des programmes » (Tacite, Dialogue des orateurs). Aujourd’hui, les alpha-lecteurs et bêta-lecteurs sont plutôt d’une grande aide pour cela !
Conclusion
À la différence d’Internet, le monde du livre se trouve être encore un espace où tout n’est pas à jeter et y recèle une certaine pureté. C’est notamment grâce à ce côté précieux et symbolique de l’objet, média dans lequel on dit souvent trouver une forme de savoir, mais aussi grâce aux différents filtres de l’édition, qui avant d’être des professionnels, restent des lecteurs qui sont touchés.
Si au moment d’écrire ou avant d’envoyer votre manuscrit vous avez un doute, n’hésitez pas à vous renseigner auprès de professionnels du livre et du droit !
Image : Pexels, Karolina Grabowska.